Présentation de deux principales méthodologies de travail en psychologie clinique
Les différents discours en psychologie clinique reposent sur des méthodologies empiriques, c’est-à-dire basées sur l'expérience directe de la rencontre avec le sujet. Ces méthodologies utilisent des outils pouvant être de nature :
- Qualitative : comme l’entretien et l’observation cliniques, qui explorent la singularité du vécu.
- Quantitative : comme les tests et les questionnaires, visant à mesurer des aspects comparables entre différents sujets.
Méthodologies et leurs caractéristiques :
Ces outils se distinguent non seulement par leur nature (qualitative ou quantitative) mais aussi par leur visée :
1.Méthodologie standardisée (quantitative)
- Objectif : Appréhender une série de sujets dans des conditions identiques pour comparer la variabilité interindividuelle ou intergroupe.
- Exemple : Méthode 1
- Cette méthode étudie ce qui est redondant dans un groupe d’individus partageant une même problématique.
- Elle cherche à identifier des caractéristiques communes, celles qui reviennent le plus souvent dans le groupe.
- Approche : quantitative.
2.Méthodologie individualisée (idiographique)
- Objectif : Rencontrer chaque sujet dans sa singularité et appréhender ce qui le rend unique.
- Exemple : Méthode 2
- Cette méthode se concentre sur ce qui est spécifique et singulier chez un individu.
- Approche : idiographique.
2.1 Méthode standardisée et DSM
Le DSM : Un outil de classification pour comprendre les troubles mentaux :
Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), publié par l’American Psychiatric Association, est aujourd’hui l’outil le plus couramment utilisé pour classer et décrire les troubles mentaux en psychologie clinique. Les deux éditions les plus récentes, le DSM-IV (1994) et le DSM-5 (2013), listent plus de 400 catégories de diagnostics, chacune définie par un ensemble de symptômes cliniques.
Ces symptômes sont décrits selon trois critères :
- Les caractéristiques descriptives du symptôme (ce qui le définit).
- Sa fréquence ou sa durée (par exemple, pour qu’un symptôme soit diagnostiqué, il doit être présent pendant un certain temps).
- L’âge d’apparition (certains troubles apparaissent généralement à un âge précis).
Objectif du DSM :
L'objectif du DSM est de proposer un cadre pour identifier et décrire les différents troubles mentaux de manière descriptive, sans chercher à en expliquer les causes. Ce qui veut dire que le DSM décrit quoi voir, pas pourquoi cela se produit. Il cherche également à poser des normes pour comprendre ce qui est considéré comme "normal" ou "anormal" en matière de santé mentale. Cela dit, dépasser ces normes indique un besoin de prise en charge clinique.
Les trois grands principes méthodologiques du DSM :
- Outil athéorique : Le DSM se veut neutre, sans explications théoriques sur l’origine des troubles ; il se concentre uniquement sur les observations des symptômes.
- Diagnostic catégoriel : Chaque trouble est défini par des critères précis d’inclusion et d’exclusion. Pour poser un diagnostic, il faut que certains symptômes soient présents, dans une quantité et une durée minimum.
- Système multiaxial : Le DSM utilise cinq axes pour établir un diagnostic global qui prend en compte différents aspects de la santé mentale et physique de la personne.
Les cinq axes du DSM :
Axe I : Diagnostic clinique des troubles mentaux
Cet axe identifie les troubles mentaux observables directement, comme les troubles de l’humeur, l’anxiété, les troubles liés à la consommation de substances, ou les troubles psychotiques.
Par exemple, pour diagnostiquer un épisode dépressif majeur, cinq symptômes spécifiques parmi les suivants doivent être présents pendant au moins deux semaines :
- Humeur dépressive
- Perte d’intérêt pour les activités
- Changements de poids
- Troubles du sommeil
- Agitation ou ralentissement psychomoteur
- Fatigue ou perte d’énergie
- Sentiments de dévalorisation
- Difficultés à se concentrer
- Pensées de mort
Axe II : Troubles de la personnalité et retard mental
Cet axe évalue les traits de personnalité persistants qui influencent durablement la manière d’un individu de percevoir et d’agir. Par exemple, on trouve ici des troubles de la personnalité comme la personnalité paranoïaque, borderline, antisociale, narcissique, etc., ainsi que le retard mental. Contrairement à un trouble de l'humeur, ces troubles représentent des schémas de comportement stables.
Axe III : Maladies physiques associées
L'axe III permet de noter les maladies somatiques, ou physiques, qui peuvent accompagner et influencer un trouble mental. Par exemple, une personne souffrant de diabète (maladie métabolique) peut également souffrir de dépression. Cet axe inclut des maladies variées : endocriniennes, respiratoires, digestives, ou encore des complications de grossesse.
Axe IV : Facteurs psychosociaux et environnementaux
Cet axe prend en compte les problèmes externes, comme des événements stressants ou des difficultés socio-économiques qui influencent la santé mentale d’une personne. Par exemple :
- Problèmes familiaux ou sociaux
- Difficultés économiques
- Environnement de travail problématique
- Conflits judiciaires ou problèmes d’accès aux services de santé
Axe V : Évaluation globale du fonctionnement (EGF)
Cet axe mesure le niveau de fonctionnement général de l’individu. On utilise une échelle de 1 à 100, appelée échelle d’évaluation globale du fonctionnement (EGF), où :
- 100 représente un excellent fonctionnement.
- 1 indique une situation de danger extrême (auto-agression ou hétéro-agression).
- 50 est le seuil d’apparition de troubles sévères qui compromettent les relations et le travail.
Exemple de diagnostic avec le DSM :
Prenons un cas hypothétique pour voir comment un diagnostic se construit avec les cinq axes :
Exemple : Monsieur X
Après un divorce récent, Monsieur X éprouve des difficultés à se concentrer, il pleure souvent, dort beaucoup, a perdu du poids, et se dévalorise fréquemment.
Diagnostic en cinq axes :
- Axe I : Épisode dépressif majeur (5 symptômes présents durant plus de 2 semaines).
- Axe II : Traits de personnalité dépendante (difficulté à prendre des décisions sans aide, peur de l’abandon).
- Axe III : Problèmes physiques (hypoglycémie).
- Axe IV : Stress psychosocial (divorce récent, changement de travail, conflits avec ses enfants).
- Axe V : Évaluation globale du fonctionnement (EGF) de 55 (ce qui reflète un niveau de détresse modéré).
Conclusion :
En résumé, le DSM fournit une structure pour comprendre la complexité des troubles mentaux en offrant une méthode de diagnostic organisée et standardisée. Cela aide les cliniciens à diagnostiquer les troubles et à comprendre les divers facteurs de risque en tenant compte à la fois de la santé mentale, de la personnalité, des maladies physiques et des contextes de vie des individus.
2.2 Méthode individualisée - idiographique :
Le concept de position subjective
- En psychologie, comprendre un individu peut se faire via sa norme subjective : ses repères personnels pour s’orienter dans le monde.
- Cela implique une observation individualisée et unique, centrée sur la façon dont une personne perçoit et donne sens au monde.
Quatre axes pour saisir la norme subjective :
Afin d’identifier cette norme propre à un sujet, quatre axes d’observation peuvent être utilisés :
- Le rapport à ce qui génère de l’angoisse : identifier ce qui, dans le monde intime du sujet, suscite une forme de peur irrationnelle ou non localisée.
- Le rapport à l’autre : examiner comment le sujet se situe par rapport à l’autre, comment il perçoit les interactions sociales.
- Le rapport au langage : analyser comment la personne utilise le langage pour exprimer et organiser sa réalité.
- Le rapport au corps : observer le lien que le sujet entretient avec son propre corps, sa perception de lui-même.
Ces axes permettent de mieux cerner ce qui fait la particularité d’un individu, de voir ce qui s’écarte ou se rapproche des normes communes, et de comprendre comment son histoire et ses expériences influencent son parcours.
Le rapport à ce qui génère de l’angoisse
- Définition de l’angoisse : Une « peur sans objet » (Janet, 1927), une attente douloureuse de danger indéfini (Guyotat, 1978).
- Contrairement à la peur (centrée sur un objet concret), l’angoisse est plus abstraite et liée à un sentiment d’étrangeté envers soi-même (Freud).
- L’angoisse peut aussi être influencée par le regard extérieur et la perception de soi comme objet pour autrui :
- « Que veut l’autre de moi ? »
- « Est-ce qu’il me juge ? »
Le poids de l’autre et la position d’objet
- L’humain vit dans un monde à la fois naturel et symbolique, influencé par les attentes et regards des autres :
- Dès la naissance, l’enfant est immergé dans un « bain » de langage et d’amour, et devient un objet de désir pour autrui.
- Par exemple, le cri du nourrisson est interprété comme un appel de soins et d’amour. Ce lien fondateur entre besoin et affection construit le développement psychique.
L’attachement et la dépendance
- Être perçu comme un objet implique une passivité et une dépendance pour recevoir de l’amour et des soins.
- Parfois, des attentes spécifiques peuvent renforcer cette dépendance :
- Ex. : Un enfant aimé parce qu’il satisfait les désirs parentaux peut craindre de perdre cet amour en cas de non-conformité.
-
- Cette pression peut devenir source d’angoisse, surtout si l’attention de l’autre semble conditionnelle ou dirigée ailleurs.
L’objet transitionnel et l’illusion de contrôle
- D.W. Winnicott (1951) introduit l’objet transitionnel comme moyen pour l’enfant de gérer l’absence de l’autre tout en se construisant psychiquement :
- Exemple : Un doudou permet à l’enfant de faire une transition douce vers l’autonomie.
- Ces objets jouent un rôle dans la séparation avec l’autre, tout en maintenant un lien symbolique.
La séparation et la construction de l’autonomie
- L’enfant naît en position d’objet des attentes et projections d’autrui, mais peut choisir de s’en détacher.
- Grandir implique une reconnaissance de la dépendance initiale, puis une affirmation de soi en tant que sujet :
- Accepter ou refuser les attentes extérieures.
- Construire une autonomie réelle en s’appuyant sur sa propre norme subjective.
2.2.2 Le rapport du sujet à l'autre
Axe imaginaire : Une relation spéculaire et illusoire
Dépendance à l’autre et transmission culturelle
- La dépendance humaine est à la fois biologique (soins nécessaires pour survivre) et culturelle (langage, traditions, normes sociales).
- Ces éléments sont transmis par l'autre, créant une dette symbolique envers lui.
Relation à l’autre comme miroir
- Les relations initiales reposent sur une spécularité : l'autre est perçu comme un reflet de soi-même.
- Exemple : "Je te comprends à travers mes propres repères."
- Conséquences : Sentiments de familiarité ou de rejet, pouvant aboutir à des comportements discriminatoires.
- Cette dynamique projette nos croyances sur l'autre, réduisant sa singularité.
Illusion de maîtrise
- L'axe imaginaire donne l’impression d’une relation maîtrisée et transparente :
- "Je sais qui je suis, donc je sais qui tu es."
-
- En réalité, cette illusion masque une aliénation identitaire :
- Le sujet se construit en fonction de l'image que l'autre lui renvoie, créant une confusion entre son "moi" et l'autre.
Limites de l’axe imaginaire
- Simplifie et réduit l’autre à un simple reflet.
- Exclut la reconnaissance de l’altérité.
- Peut engendrer une dépendance aux projections de l'autre, compromettant la construction d'une identité autonome.
Implications cliniques
- Dans la relation thérapeutique, le psychologue doit éviter de perpétuer l’illusion de maîtrise.
- Une empathie mal comprise (se mettre à la place de l'autre) peut alimenter cette dynamique imaginaire.
- La tâche du psychologue est de dépasser les projections pour accueillir la singularité du patient.
Axe symbolique : Une ouverture à l’altérité
Langage et altérité
- L’axe symbolique repose sur le langage, qui introduit complexité et incertitude dans les relations.
- Exemple : Questionner "Et toi, qui es-tu ?" reconnaît l’inconnu et l’impossible complétude dans la relation à l'autre.
- Cela invite à dépasser les stéréotypes et à ouvrir un espace d’interprétation, marquant une véritable rencontre avec la différence.
Reconnaissance du manque
- Contrairement à l’axe imaginaire, l’axe symbolique confronte le sujet au manque et à la perte dans la relation à l’autre.
- L'autre ne peut jamais être totalement connu ni compris.
- Ce manque devient une opportunité pour des rencontres authentiques et une transformation personnelle.
Implications cliniques
- Plutôt que de fusionner avec l’autre, reconnaître la singularité de son vécu.
- Accepter qu’on ne peut pas ressentir "comme l’autre" mais simplement être témoin de son expérience.
- Travailler avec le transfert :
- Le transfert rejoue des scénarios affectifs inconscients (désirs, attentes, frustrations).
- Le psychologue doit aider le patient à reconnaître ces répétitions pour les dépasser, sans s’enfermer dans une relation de dépendance ou de maîtrise.
Conclusion générale
- L’axe imaginaire offre une première structuration des relations, mais tend à réduire l’autre à une projection de soi-même, générant une aliénation identitaire.
- L’axe symbolique, en revanche, introduit une reconnaissance de l’altérité, valorisant la différence et l’inconnu dans les relations.
- En clinique, combiner ces perspectives permet de travailler sur les projections inconscientes (axe imaginaire) tout en ouvrant un espace pour des relations authentiques et transformatrices (axe symbolique).
Différences entre les axes imaginaire et symbolique
2.2.3 Le rapport du sujet au langage
Le langage et le signifiant
Définition du signifiant :
- Le signifiant permet de remplacer la chose.
- C’est un pouvoir de substitution.
- Ensemble de mots propres à une langue.
Le langage comme dimension constitutive :
- Le langage est une dimension constitutive de l’être humain.
- C’est l’instrument qui médiatise le rapport aux autres et organise les interactions sociales.
- Le langage permet :
- De s’adresser aux autres.
- De les rencontrer au-delà de la simple image qu’ils reflètent.
Composition du langage :
Le langage se compose de :
- Lexique : Ensemble de mots disponibles dans une langue.
- Grammaire :
- Règles propres à une langue.
- Façon dont les éléments s’associent pour produire du sens.
- Locuteur : Quelqu’un qui parle et utilise ce lexique.
Système symbolique :
- Le langage forme un système symbolique :
- Ensemble de mots et de représentations interreliées.
- Produit des effets de sens grâce à leur articulation et leur enchaînement.
-
- Le langage permet :
- De représenter le monde.
- De se représenter auprès des autres.
Langage et émotions
Effets de mise en mots :
- Mettre des mots sur les émotions a plusieurs effets :
- Sédation : Effet apaisant, passif.
- Levée du refoulement : Permet de relever le contenu refoulé.
- Effet thérapeutique :
- Transformer des affects bruts et des sensations non mises en forme.
- Les traduire en significations grâce au langage.
Mise en parole et organisation psychique :
- Le contenu brut (affect, sensation) est transformé en signification.
- Le langage organise les sensations en leur donnant du sens et permet :
- D’ordonner sa vie.
- De s’approprier ses expériences.
Wilfred Bion : Langage et symbolisation
Symbolisation dans les premières interactions :
- Wilfred Bion (1897-1979) s’intéresse au pouvoir représentatif de la parole.
La symbolisation repose sur deux éléments :
- Élément contenu : Sensations, affects et perceptions issus des expériences.
- Élément contenant :
- Pensée qui organise et traduit les éprouvés.
- Transforme ces éprouvés en représentations signifiantes.
Capacité de rêverie maternelle :
- Le travail de symbolisation se soutient de la rêverie maternelle.
- Cette capacité permet de :
- Traduire les éprouvés de l’enfant en représentations signifiantes.
- Réduire la charge émotionnelle et affective par un effet de contenance.
Exemple : l’expérience de la faim
- La faim est une expérience désagréable pour l’enfant.
- Grâce à la rêverie maternelle, cette sensation est traduite en représentations.
- Ces représentations permettent à l’enfant de s’approprier la trace de l’expérience.
Éléments alpha et bêta :
- Éléments alpha :
- Contenus psychiques assimilables.
- Nourrissent la pensée et l’activité symbolique.
- Éléments bêta :
- Contenus bruts et inassimilables.
- Résultent d’un environnement qui n’a pas assuré la digestion psychique.
Si les éléments bêta dominent :
- L’enfant ne peut développer son appareil à penser.
- Il ne peut contenir ou traduire ses expériences.
Langage et appropriation :
- Mettre des mots ou des images sur les vécus est crucial pour :
- Donner du sens à ses expériences.
- Alimenter sa capacité à penser.
Le langage en psychologie clinique
Apports thérapeutiques :
- Les techniques cliniques exploitent les effets de sens du langage.
- Parler produit un effet d’apaisement en :
- Vidant la charge affective, pulsionnelle ou anxieuse associée au symptôme.
- Transformant les affects en significations symboliques.
Limites cliniques :
- Pour certains sujets, parler peut :
- Augmenter les tensions ou alimenter le symptôme.
- Être ressenti comme angoissant.
- Le langage peut être vécu comme :
- Inconsistant, sans signification.
- Invasif ou trop réel, au point de se présentifier.
2.2.4 Le rapport du sujet à son corps
Le corps : entre organisme et subjectivité
Le corps en tant qu’organisme
- Le corps est une composante manifeste de l’être humain, une évidence qui semble naturelle.
- Cependant, l’expérience clinique montre que habiter son corps n’est pas toujours aisé :
- Pour certains sujets, s’approprier leur corps, en prendre pleinement possession, peut être extrêmement complexe.
- Une première manière d’approcher cette question consiste à différencier le corps de l’organisme.
L’organisme :
- Correspond à l’assemblage biologique de l’être vivant.
- Il regroupe :
- Les fonctions neurophysiologiques.
- La structure osseuse et musculaire.
- Les organes, le système cérébral, etc.
- Il s’agit de la dimension « naturelle » du corps, celle qui vise la bonne adaptation du sujet à son environnement, par la régulation des besoins primaires (faim, soif, sommeil, reproduction).
Le corps en tant que subjectivité
- Mais le corps humain ne se réduit pas à cette dimension biologique.
- Au-delà de l’organisme, le corps est aussi un lieu de :
- Ressentis, éprouvés et affects.
- Pulsions et désirs, parfois énigmatiques et indéchiffrables.
Le corps subjectif :
- C’est le corps tel qu’il est vécu par le sujet.
- Il est affecté par :
- Les mots.
- Les expériences relationnelles.
-
- Cette dimension dépasse les caractéristiques biologiques pour mettre en lumière :
- La manière dont le sujet vit et occupe son corps.
- L’importance des sensations, satisfactions, et éprouvés tirés de la relation à l’autre.
Exemple : Une personne peut ressentir plus de plaisir à cuisiner pour plaire à ses invités qu’à manger elle-même le repas qu’elle a préparé.
Corps objectif et corps subjectif
- Le corps objectif : Correspond à la dimension biologique, observable et mesurable (l’organisme).
- Le corps subjectif : Relève des sensations et expériences personnelles.
- Exemple : "Le seul moyen que je trouve pour ressentir quelque chose, c’est de mettre ma main dans une friteuse."
- Cette phrase illustre la difficulté à ressentir des sensations autrement qu’à travers une expérience extrême ou douloureuse.
Habiter son corps : un processus singulier
- Habiter son corps n’est pas une donnée naturelle.
- Chaque individu doit :
- S’approprier son corps.
- L’apprivoiser.
- Composer une manière singulière d’y prendre place.
- Le corps est constitué de :
- Composantes biologiques.
- Sensations, pulsions, affects.
- Ces sensations et affects procèdent d’une logique culturelle et langagière, souvent étrangère au fonctionnement biologique.
Le stade du miroir (J. Lacan, 1949)
Prématuration physiologique
- Selon Lacan, cette appropriation du corps est liée au phénomène du stade du miroir.
- Il s’appuie sur une observation biologique :
- L’être humain naît prématuré sur le plan physiologique.
- Cette prématuration le place dans un état de dépendance prolongée envers son entourage.
- Contrairement à d’autres mammifères qui deviennent rapidement autonomes, l’être humain dépend longuement de l’attention, du soin, du langage, et du désir de l’autre.
Effets de la dépendance
- Cette dépendance expose le corps du sujet aux attentions, au désir, et au langage de l’autre.
- Ces interactions affectent son corps et produisent :
- Des sensations.
- Des ressentis qui peuvent apparaître comme énigmatiques, ambigus, ou insensés.
- Le corps est alors souvent débordé par ces affects.
L’importance de l’image : unification du corps
- Pour maîtriser ce corps en proie à des sensations morcelées, l’enfant s’identifie :
- À l’image que lui renvoie le miroir.
- À l’image que lui reflète l’autre (parent, partenaire, entourage).
-
- Cette identification permet :
- De passer d’un vécu corporel morcelé à une représentation imaginaire d’un corps totalisé.
- De trouver un sentiment d’unité et de maîtrise corporelle.
-
- Rôle de l’autre :
- L’autre devient le support d’une image unificatrice.
- Grâce à cette image, le sujet peut prendre possession de son corps et l’habiter pleinement.
Le lien entre affect et image
- L’image sert de médiation pour comprendre et identifier les affects.
- Cela permet de trouver un « mode d’emploi » du corps, une manière de gérer ses ressentis et sensations.
- En d’autres termes, le corps, débordé par les affects, a besoin de cette mise en forme imaginaire pour trouver un équilibre.
Conséquences sur le corps humain
- L’être humain reste marqué à vie par cette dépendance originelle à l’autre.
- Deux options se dessinent souvent :
- Rejet des "apports" de l’autre.
- Dépendance excessive à ces mêmes "apports".
- Les affects, les désirs, et le langage de l’autre laissent une trace profonde sur le corps.
Conclusion
- Habiter son corps est un processus qui ne va pas de soi.
- Ce processus, influencé par les interactions précoces avec l’autre, passe par :
- La médiation des images.
- La mise en forme des affects par le langage.
-
- C’est à travers ces médiations que le sujet peut trouver une manière singulière de vivre son corps, de l’habiter, et d’y puiser un sentiment d’unité et de maîtrise.
2.2.5 Usages du concept de position subjective
Modes de rapport au monde et structures subjectives
Introduction : Les coordonnées fondamentales du rapport au monde
- Le mode de rapport à l’angoisse, à l’autre, au langage et au corps constitue des coordonnées fondamentales permettant de comprendre le fonctionnement psychique d’un sujet.
- Ces dimensions témoignent :
- De la manière dont chaque sujet structure son expérience de la réalité.
- De la façon dont il ressent et donne du sens au monde qui l’entoure.
-
Points d’observation essentiels dans la rencontre clinique
Ces axes servent de repères pour aborder un sujet en souffrance :
L’angoisse :
- Qu’est-ce qui génère de l’angoisse chez le sujet ?
- Dans quelles circonstances survient-elle ?
- Quels mécanismes lui permettent de l’affronter ?
Le rapport à l’autre :
- Comment le sujet se positionne-t-il face aux autres ?
- Se sent-il investi par eux ?
- Quelles souffrances en découle-t-il, et comment s’en protège-t-il ?
Le rapport au langage :
- Quelle est sa relation à la parole ?
- Parler lui procure-t-il un soulagement ou, au contraire, le plonge-t-il dans l’angoisse ?
Le rapport au corps :
- Comment habite-t-il son corps ?
- Trouve-t-il des manières de se sentir plus à l’aise, plus vivable dans ce dernier ?
Ces questions permettent de cerner les positions subjectives singulières et d’explorer la diversité des expériences humaines.
Les structures subjectives selon Lacan et Freud
Position subjective et diversité
- J. Lacan (1973), en s’appuyant sur les travaux de Freud, a défini des catégories pour repérer les modalités de positionnement subjectif, qu’il appelle des structures.
- Ces structures permettent d’extraire des régularités dans les façons dont les sujets :
- Vivent leur rapport à l’angoisse, au langage, à l’autre, et au corps.
- Tentent de donner un sens à leur expérience.
Les quatre structures de Lacan
Lacan identifie quatre grandes familles :
- Névrose
- Psychose
- Perversion
- Autisme
Les quatre structures : Modalités de positionnement subjectif
1. La névrose
- Origine du terme : Le mot vient de la médecine et renvoie à une dimension de stress, d’angoisse, ou de refoulement.
- Caractéristique principale :
- Le névrosé ressent un manque dans son expérience du monde.
- Ce manque devient un moteur, une quête pour combler ce vide.
Sous-types de névrose
- Névrose hystérique :
- Le sujet ressent une insatisfaction constante.
- Cette insatisfaction est une manière de se défendre contre le manque.
-
- Névrose obsessionnelle :
- Le sujet ne comprend pas son manque, il le perçoit comme inatteignable.
- Il se confronte à l’impossible, vivant son désir comme perpétuellement inaccessible.
- Exemples :
- Procrastination : Le désir est rationalisé puis repoussé indéfiniment.
- Froideur émotionnelle : Le sujet se plaint de ne rien ressentir après avoir satisfait un désir.
2. La psychose
- Caractéristique principale :
- Contrairement à la névrose, le psychotique ne vit pas le manque.
- Il est confronté à un trop, que ce soit dans son rapport à l’autre ou à son propre corps.
-
Manifestations typiques
- Rapport à l’autre :
- Le sujet a l’impression que l’autre le vise, qu’il lui demande ou exige quelque chose.
- Cette surcharge relationnelle peut générer des délires de persécution.
- Rapport au corps :
- Le trop peut se manifester par des hallucinations.
- Exemple : Les voix sont une surcharge auditive qui envahit le sujet.
- Le sujet ne demande pas la parole de l’autre, car il ressent déjà que cette parole lui est imposée.
3. La perversion
- Caractéristique principale :
- Le pervers se perçoit comme celui qui doit combler le manque supposé de l’autre.
- Il cherche à boucher ce manque pour satisfaire un besoin propre.
- Il trouve une jouissance à générer de l’angoisse chez l’autre, pensant ainsi atteindre sa propre satisfaction.
4. L’autisme
- Caractéristiques principales :
- L’autisme est souvent lié à une part importante de facteurs génétiques et relève également du champ des troubles neurodéveloppementaux.
- Toutefois, il peut être considéré comme une modalité spécifique de rapport au monde.
-
- Rapport à l’autre et au langage :
- L’autiste se défend contre la relation à l’autre et l’intrusion du langage.
- Il ressent un trop dans son expérience du langage, ce qui peut le conduire à :
- Se faire sourd aux mots des autres.
- Se faire muet à ses propres paroles.
L’expérience universelle du ratage
La norme selon Lacan :
- Pour Lacan, la norme n’est pas un état psychologique « réussi » ou « parfait ».
- Au contraire, la norme repose sur une clocherie universelle, un ratage inhérent à l’expérience humaine.
Ce ratage universel :
- Tous les individus éprouvent des difficultés dans leur rapport :
- Au corps.
- À l’autre.
- Au langage.
- L’important est d’identifier comment chaque sujet vit ce ratage et comment il tente d’y répondre.
Orientation dans la rencontre clinique :
- La prise en compte de ces ratages permet de mieux comprendre les stratégies adoptées par le sujet pour :
- Faire face à son expérience du manque ou du trop.
- Trouver une position vivable dans son rapport au monde.
Conclusion
- Chaque sujet se positionne singulièrement face à l’angoisse, au langage, à l’autre et à son propre corps.
- Ces coordonnées constituent des points de repère essentiels pour comprendre les structures subjectives.
- Enfin, la norme universelle selon Lacan souligne que l’imperfection, le « ratage », est une donnée fondamentale de l’expérience humaine.