Définition de l’AAU
L’acte administratif unilatéral (AAU) est caractérisé par deux éléments fondamentaux :
- Son caractère administratif (administrativité) - élément constant.
- Sa normativité - élément relatif, car un acte n’est plus nécessairement normatif.
Section 1 : L'élément constant – l'administrativité de l'acte
Contexte historique et doctrinal
Historiquement, la doctrine française distingue droit privé et droit public :
- Droit privé : basé sur l’égalité des parties et le consentement.
- Droit public : où l’administration est en position dominante.
Cette distinction a faussé la perception en associant unilatéralité à administrativité. Cependant, certains actes unilatéraux existent en droit privé (entreprises, familles, etc.), et tous les actes de l’administration ne sont pas administratifs (ex : contrats de droit privé).
Paragraphe 1 : L’unilatéralité n’est pas synonyme d’administrativité
Initialement, la doctrine libérale considérait que l’unilatéralité était le propre de l’administration. Toutefois, le professeur Dupré de Boulois (2006) a montré que l’unilatéralité existe également en droit privé.
Arguments doctrinaux classiques réfutés par Dupré de Boulois :
- Création de droits sans consentement : L’AAU impose des droits et obligations sans accord du destinataire, alors qu’en droit privé, un acte unilatéral n’affecte que l’auteur.
- Privilège du préalable : Avantage reconnu à l’administration (CE, Assemblée, 2 juillet 1982, "Monsieur Huglo"), le REP n’est pas suspensif.
- Caractère exécutoire : Présomption de légalité pour les actes publics et privés ; cependant, l’AAU peut être exécuté par voie de contrainte.
- Contexte autoritaire : En droit public, l’autorité domine, alors qu’en droit privé, l’unilatéralité découlerait d’un consentement implicite.
Paragraphe 2 : Tous les actes de l'administration ne sont pas administratifs
Certains actes de l'administration ne sont pas administratifs et inversement.
- Actes administratifs par des non-administrations : Exemples d’actes émis par des entités privées dans le cadre d'un service public (ex : TC, 7 août 1884, "Mariages de Montrouge").
- Actes non-administratifs par l’administration : Les actes de gouvernement (relations internationales, relations avec d'autres pouvoirs constitués) ne sont pas administratifs.
Paragraphe 3 : Identification de l’administrativité
Pour être administratif, un acte doit être exorbitant du droit commun, selon deux critères :
- Critère organique : L’acte administratif est présumé tel s’il émane d’une administration.
- Critère matériel : L’acte doit concerner une situation relevant du service public (SP) ou des prérogatives de puissance publique.
A) Exorbitance du droit commun
- Critère organique : Présomption d’administrativité si l’acte provient de l’administration (même un contrat).
- Critère matériel : Situations relevant du service public ou des prérogatives de puissance publique, avec une finalité d’intérêt général (IG) ou d’ordre public.
Finalité de l'acte : Intérêt général (IG) et ordre public
- Intérêt général : Critère évolutif au fil des contentieux et souple pour l'administration.
- Ordre public : Défini à l’article L2212-2 du CGCT (sécurité, salubrité, tranquillité). Notions étendues par la jurisprudence pour inclure moralité publique (CE, 18 décembre 1959, "Société les films Lutetia") et dignité humaine (CE, 13 octobre 1995, "Commune de Morsang-sur-Orge").
Les deux conditions de l’administrativité de l’acte
Condition 1 : L’administrativité de l'acte unilatéral implique qu’il émane d’une autorité administrative
L’acte doit être pris par une autorité publique compétente, que ce soit une personne publique ou privée dans le cadre de missions de SP.
Autorité publique :
- Théorie du fonctionnaire de fait : Des actes peuvent être valables même si émis par des agents sans titre officiel, pour des nécessités de SP (CE, 5 mars 1948, "Marion").
Participation d'entités privées au SP :
Les entités privées gérant un SP peuvent émettre des actes administratifs (CE, 31 juillet 1942, "Monpeurt").
Condition 2 : Fonction administrative de l’acte unilatéral
L’AAU peut émaner d’autorités autres que l’exécutif, à condition de remplir une mission administrative.
Exemples d’autorités non exécutives pouvant émettre des AAU :
- Le Parlement : Certains actes parlementaires sont qualifiés d'administratifs par le JA (CE, 4 novembre 1987, "Assemblée nationale c/ Madame Case").
- Le JJ et le JA : Actes relatifs à l'organisation des juridictions et du service public judiciaire (TC, 27 novembre 1952, "Préfet de la Guyane").
Actes échappant à la catégorie des actes administratifs
Les actes de gouvernement sont émis par des autorités de l'État sans possibilité de recours devant un juge. Ces actes concernent :
- Relations internationales : Par exemple, la reprise des essais nucléaires (CE, 29 septembre 1995, "Association Greenpeace France").
- Relations entre pouvoirs constitués : Exercice du droit de grâce, nomination de membres du Conseil constitutionnel.
Les moyens de légalité et contrôle par le juge
Moyens de légalité
- Interne : Compétence de l’auteur, absence de détournement de pouvoir, respect de la loi.
- Externe : Respect des vices de procédure, conformité de la forme.
Le juge administratif peut ajuster l’intensité du contrôle de légalité, selon trois niveaux :
- Contrôle restreint
- Contrôle normal (erreur manifeste d’appréciation)
- Contrôle maximum et proportionnalité
La compétence du juge administratif et exception d’illégalité
Le juge administratif est compétent pour les actes relevant du droit administratif, sauf les actes de gouvernement. Une exception d’illégalité permet de contester un acte sur le fondement de l’illégalité d’un acte antérieur qui a épuisé son délai de recours (CE, 18 janvier 1960, "Simone" ; CE, 3 octobre 1989, "Alitalia").
Section 2 - La Normativité de l'Acte Administratif Unilatéral (AAU)
I. Définition de la Normativité de l'Acte
La normativité d'un acte administratif unilatéral désigne sa capacité à imposer une règle de droit, créant des obligations ou des droits pour des tiers sans leur consentement. La doctrine classique associe l'unilatéralité au commandement, suggérant qu'un acte unilatéral est forcément normatif. Cependant, cette conception est remise en question, notamment par l'article L201-1 du Code des Relations entre le Public et l'Administration (CRPA), qui distingue désormais actes normatifs et non-normatifs.
Paragraphe 1 : Les Limites du Qualificatif "Exécutoire"
Le qualificatif "exécutoire" a longtemps été utilisé pour désigner la normativité des actes administratifs, mais il est problématique en raison de sa polysémie. Le professeur Sellier identifie quatre sens du terme exécutoire.
- Exécutoire = Décisoire : Un acte exécutoire affecte directement l'ordonnancement juridique et s’impose aux destinataires (ex : CE, Assemblée du 2 juillet 1980, "Huglot" ; CE, 2006, "Fritch").
- Exécutoire = Privilège du Préalable : Pour Hauriou, le caractère exécutoire implique que les décisions administratives s'appliquent sans intervention préalable d’un juge, sauf en cas de contestation (prescription de légalité). Ce privilège ne signifie pas nécessairement qu’un acte peut être exécuté par la force (CE, Assemblée du 1er mars 1991, "Société des Bourses françaises").
- Exécutoire = Entrée en Vigueur de l'Acte : Certains actes deviennent exécutoires dès leur publication ou notification (ex : article L2131-3 du CGCT). Ici, l’exécution désigne le caractère obligatoire de l’acte.
- Exécutoire dans le Contexte des Référés : Avant la loi du 30 juin 2000, seuls les actes exécutoires pouvaient faire l’objet d’un sursis à exécution, concept abandonné depuis CE, Assemblée, 23 janvier 1970, "Amoros".
Paragraphe 2 : Le Caractère Décisoire pour Qualifier la Normativité
A) Le Principe
Le qualificatif "décisoire" est utilisé pour désigner les actes normatifs de droit dur, c'est-à-dire ceux qui imposent une règle de manière impérative. Un acte décisoire modifie l’ordonnancement juridique, créant, supprimant ou maintenant une règle (CE, 22 novembre 1999, "Arteaga Romero" ; CE, 30 mars 2009, "Syndicat départemental d’électrification du Rhône").
- Normativité du Droit Dur : Repose sur la création d’effets de droit obligatoires et sanctionnables en cas de non-respect. Le droit dur est impératif et punit le non-respect (ex : obligation de circuler à droite).
- Droit Souple (Soft Law) : Recommandations, orientations sans sanction directe. Il cherche l’adhésion plutôt que la contrainte. Le droit souple vise à influencer les comportements de manière incitative sans créer une règle obligatoire (CE, Assemblée, 21 mars 2016, "Fairvesta" ; CE, 12 juin 2020, "GISTI").
B) Limites et Justiciabilité du Droit Souple
Le droit souple peut faire l’objet de recours en excès de pouvoir s'il produit des effets notables ou économiques, même sans normativité de droit dur. L'évolution jurisprudentielle a ouvert la justiciabilité des actes non-normatifs (CE, Assemblée, 21 mars 2016, "Fairvesta et Numéricâble").
Paragraphe 3 : Normativité et Justiciabilité - Le Rôle du Juge
A) La Justiciabilité des Actes et la Normativité
L’accès au juge permet de distinguer les actes normatifs
de ceux qui ne le sont pas. Traditionnellement, seuls les actes créateurs de droits étaient susceptibles de recours. Cependant, certains actes de droit souple peuvent également être justiciables, sans pour autant être impérativement normatifs.
B) Catégories d'Actes non Justiciables
Certaines catégories d’actes échappent au recours en raison de leur nature non-décisoire ou de leur place dans le processus administratif.
1. Actes Préparatoires
Les actes préparatoires, qui interviennent dans le processus décisionnel sans créer de droit, ne sont pas décisoires et ne font pas grief (CE, 9 juillet 1958, "Dame Lincourt" ; CE, Assemblée, 5 mai 1951, "Ruais").
2. Actes Recognitifs ou Confirmatifs
Ces actes, qui se bornent à confirmer une décision antérieure sans en modifier les effets, sont insusceptibles de recours car ils n’introduisent pas de nouvelles obligations juridiques (CE, 5 décembre 1952, "Desgouillon").
3. Circulaires
Les circulaires visent à interpréter le droit pour les agents sans créer de normes contraignantes. Leur normativité dépend de leur caractère impératif. Depuis l’arrêt CE, "Dame Duvignères" (2002), les dispositions impératives d’une circulaire peuvent être contestées, même si elles sont interprétatives.
4. Lignes Directrices
Les lignes directrices orientent les décisions discrétionnaires des agents sans s’imposer juridiquement. Elles visent la cohérence et l’égalité de traitement. Seules les lignes directrices qui présentent un caractère impératif sont susceptibles de recours (CE, Section, 11 décembre 1970, "Crédit foncier de France").
5. Mesures d’Ordre Intérieur (MOI)
Les MOI sont des décisions disciplinaires internes qui, malgré leur caractère décisoire, échappent souvent au contrôle du juge en raison de leur faible impact juridique. Cette catégorie a cependant été restreinte pour respecter les droits fondamentaux (CE, Assemblée, 17 février 1995, "Hardouin" et "Marie").
Synthèse et Évolution Jurisprudentielle
La normativité de l’acte administratif unilatéral a évolué, avec une distinction claire entre :
- Le droit dur (impératif, créant des obligations sous peine de sanction) et
- Le droit souple (influence sans obligation).
Cette distinction est cruciale pour comprendre la justiciabilité des actes. En reconnaissant la recevabilité des recours pour excès de pouvoir contre certains actes non-normatifs (arrêts "Fairvesta", "Duvignères", "GISTI"), le juge a étendu le contrôle contentieux aux lignes directrices et circulaires impératives, montrant que la normativité ne se limite pas à la création de règles obligatoires.