Les fondations royales constituent un élément clé du pouvoir des souverains hellénistiques. Elles permettent non seulement de marquer l’espace territorial des rois, mais aussi d’affirmer leur autorité et de diffuser la culture grecque. Ces cités nouvelles ou refondées témoignent de la volonté des monarques d’exercer un contrôle politique et militaire sur les territoires conquis, tout en cherchant à s’attirer la fidélité des populations locales.
Le paradoxe du pouvoir royal réside dans sa volonté de préserver une apparente autonomie des cités, tout en imposant des formes de subordination. D’un côté, les rois proclament la liberté des cités et les intègrent dans des alliances diplomatiques ; de l’autre, ils maintiennent un contrôle strict sur leurs institutions et leurs ressources. Cet équilibre fragile entre indépendance et sujétion façonne les relations entre les monarques et les cités.
Après la mort d’Alexandre le Grand, ses successeurs (les Diadoques) instaurent de nouvelles dynasties et entreprennent une vaste politique de fondations urbaines. Ces cités servent d’instruments de pouvoir et d’intégration, permettant aux rois de stabiliser leur empire et de promouvoir leur héritage dynastique. À travers l’étude des fondations royales et de leur statut, nous chercherons à comprendre comment les souverains hellénistiques ont façonné leur domination sur le monde grec.
I. Les Fondations Royales, Reflets du Pouvoir
A. Des Fondations Dynastiques
Les souverains hellénistiques fondent ou refondent de nombreuses cités pour asseoir leur autorité. Ces créations urbaines prennent plusieurs formes : des fondations ex nihilo, des réorganisations de communautés existantes (politisation) ou des colonies militaires (katoikiai).
Les fondations ex nihilo consistent à établir une cité sur un territoire vierge ou faiblement peuplé. Elles sont généralement situées à des carrefours stratégiques, facilitant le commerce et la défense. Un exemple emblématique est Alexandrie d’Égypte, fondée par Alexandre le Grand en 331 av. J.-C., qui devient un centre majeur de la culture et de l’administration hellénistique.
D’autres cités sont issues de la transformation de communautés préexistantes en véritables cités grecques dotées d’institutions civiques. Ce phénomène, appelé poliadisation, consiste à implanter des structures politiques grecques comme la boulè (conseil) et l’ecclésia (assemblée). Par exemple, Sardes en Lydie est transformée sous le règne d’Attale Ier au IIIe siècle av. J.-C.
Enfin, les katoikiai sont des colonies militaires où d’anciens soldats sont installés pour sécuriser le territoire et assurer la loyauté des populations locales. L’exemple de Dura-Europos en Syrie illustre cette fonction : d’abord un simple poste militaire, la cité évolue pour devenir un véritable centre urbain.
B. L’Impulsion des Rois sur l’Évolution des Cités
Les souverains ne se contentent pas de créer de nouvelles cités, ils influencent également l’évolution de celles qui existent déjà. Ils procèdent à des refondations, souvent motivées par des considérations politiques et militaires. Une refondation peut résulter d’un acte de générosité royale en échange d’une loyauté accrue, ou d’un transfert de population vers une nouvelle cité.
Les rois imposent parfois des regroupements forcés de plusieurs cités en une seule entité politique, un processus appelé synœcisme. Antigonéia de Troade, par exemple, est créée en fusionnant sept petites cités, mais ce type d’initiative ne rencontre pas toujours le succès escompté. Le projet de synœcisme entre Téos et Lébédos, voulu par Antigone le Borgne en 301 av. J.-C., échoue face à l’opposition des populations locales.
C. Des Cités, Vitrines de l’Hellénisme
Les cités fondées par les rois ne sont pas seulement des centres administratifs et militaires ; elles servent également de vitrines de la culture grecque. Elles adoptent un urbanisme inspiré du modèle hippodaméen, caractérisé par un plan en damier avec des rues orthogonales. Les infrastructures grecques comme les gymnases, théâtres et agora renforcent leur caractère hellénistique.
La toponymie en miroir est une autre manifestation de cette volonté d’hellénisation. De nombreuses cités sont baptisées du nom de villes de Macédoine et de Grèce continentale, comme Europos, Pella ou Béroia. Cette stratégie vise à créer un sentiment de familiarité pour les colons grecs installés dans ces nouveaux territoires.
II. Les Cités sous Influence Royale
A. Les "Degrés de la Subordination" (J. Ma)
Les cités hellénistiques ne sont pas toutes sur un pied d’égalité face au pouvoir royal. Le statut d’une cité dépend de plusieurs facteurs, notamment son importance stratégique et ses relations diplomatiques avec le roi. John Ma propose de classer les cités selon leur degré de subordination au pouvoir royal.
Les cités les plus favorisées sont celles qui obtiennent une autonomie relative (autonomia), leur permettant de conserver leurs institutions propres. Cependant, cette autonomie est souvent conditionnelle et dépend du bon vouloir du roi. Certaines cités bénéficient également du statut de cité libre (eleutheria), ce qui leur permet d’échapper à la présence d’une garnison royale ou à l’imposition d’un tribut (phoros).
B. La Typologie des Statuts
On distingue trois grandes catégories de cités sous influence royale :
- Les cités autonomes : elles conservent une indépendance politique, bien que sous la protection du roi (ex. Smyrne).
- Les cités dépendantes : elles ont des institutions grecques mais restent soumises aux décisions royales (ex. Priène).
- Les cités sujettes : elles sont intégrées au royaume, leurs documents sont datés selon le règne du souverain et elles sont directement gouvernées par des fonctionnaires royaux.
C. La "Tolérance Répressive" (J. Ma)
John Ma introduit la notion de tolérance répressive pour décrire la relation entre les rois et les cités. Bien que les rois prétendent garantir l’indépendance des cités, ils exercent une domination sous-jacente à travers un système de dons et de faveurs. En échange de privilèges accordés par le roi, les cités doivent afficher leur loyauté et reconnaître la supériorité du pouvoir royal.
III. Entre Propagande et Concessions Nécessaires : Le Discours Royal
A. Obtenir la Philia (Amitié) et la Symmachia (Alliance) du Roi
Les relations entre les rois et les cités s’articulent autour des notions de philia (amitié) et de symmachia (alliance). Les rois utilisent ces alliances pour contrôler les cités sans recourir systématiquement à la force. L’intégration à ces réseaux d’amitié et d’alliance permet aux cités d’obtenir des avantages, mais les place aussi sous la dépendance du souverain.
B. Une Liberté aux Deux Visages
Les rois proclament souvent la liberté des cités pour légitimer leur pouvoir, tout en maintenant un contrôle effectif sur elles. Alexandre le Grand, par exemple, justifie sa conquête de l’Asie Mineure en se présentant comme un libérateur des Grecs soumis aux Perses, alors qu’il impose en réalité sa propre domination.
C. Liberté et Démocratie
À l’époque hellénistique, les notions de liberté (eleutheria) et de démocratie (demokratia) sont étroitement liées. Les cités cherchent à préserver leurs institutions démocratiques face aux ingérences royales, mais doivent composer avec l’autorité des souverains.